Malgré une volonté collective de se tourner vers une agriculture qui réintègre le vivant, l’objectif est toujours loin d’être atteint. Difficile de jeter la pierre aux consommateurs, consommatrices, agriculteurs et agricultrices dans le contexte actuel (inflation, marché du bio en crise, concurrence internationale, manque de formation). Pour sortir de l’impasse manichéenne des « bons » et des « mauvais » individus, que faire ? En septembre dernier, Ecol’Aube avait proposé cinq leviers.
L’agroécologie aux racines de l’enseignement
Avec plus de la moitié des agriculteurs âgés de plus de 50 ans, l’avenir se joue d’abord dans la formation. Dans l’enseignement agricole, les enjeux agroécologiques sont longtemps restés cantonnés à de la façade politique ou au mieux à des options dans les écoles d’ingénieurs qui forment les cadres et conseillers techniques de demain. Ce n’est pas étonnant quand on sait que l’enseignement privé est financé pour partie par les industries agroalimentaires, il paraît difficile de sortir l’agriculture de l’inertie intensive… Et pourtant, un changement s’opère peu à peu (une première loi d’orientation de 2014 puis le pacte d’orientation et d’avenir agricoles1) montre une volonté à « enseigner à produire autrement » : concrètement, généraliser l’agroécologie dans toute la sphère éducative. Nous sommes ravis de ce tournant, continuons avec encore plus d’ambitions malgré la réticence de certains. Marc Fesneau, on compte sur vous !
Des aides à l’actif pour la Politique Agricole Commune
La Politique Agricole Commune (PAC) née en 1962 favorise une politique productiviste. L’attribution des aides de la PAC est complexe et évolue, mais la surface reste un critère prédominant. Ainsi, les grosses exploitations agricoles sont celles qui touchent généralement le plus d’argent2. Ces aides représentent une part importante du revenu des agriculteurs3, avec des démarches administratives laborieuses. Ce système évolue à chaque réforme, avec des contresens comme la suppression de l’aide au maintien de l’agriculture bio en 2017. La nouvelle PAC 2023-2027 affiche un objectif écologique, mais reste peu satisfaisante. Ce pourquoi nous suggérons une aide à l’actif, c’est-à-dire une PAC basée sur le nombre de travailleurs. Cela encouragerait les petites exploitations, et des pratiques plus respectueuses de l’environnement, qui nécessitent plus de main d’œuvre. Cette aide permettrait également de revaloriser les salaires des paysans et paysannes.
Partageons la terre avec la SAFER
L’accès à la terre est difficile sans héritage. À titre d’exemple, dans l’Aube, il faut environ un million d’euros pour acquérir une terre de taille moyenne. C’est un frein considérable. Pourtant, nous avons déjà des solutions en France.
Par exemple, l’association Terre de liens4 achète des terres agricoles, les préservant de la spéculation pour des projets vertueux. De son côté, la Société Civile des Terres du Larzac5, issue de la lutte des années 70 contre l’extension du terrain militaire6, est un véritable laboratoire foncier. Le droit d’usage y remplace la propriété privée. Un comité de citoyens locaux attribue les parcelles libres aux projets agricoles les plus qualitatifs. Les terres sont rendues à la communauté lors du départ à la retraite.
Ces exemples pourraient inspirer les SAFER7, des acteurs clés dans la gestion foncière, mais qui manquent d’une direction claire et de ressources suffisantes. L’instrument est là, changeons-le !
La Sécurité sociale de l’alimentation
« 1 Français sur 5 déclare se priver de nourriture ». L’aide alimentaire qui repose beaucoup sur l’aide de bénévoles, est débordée tandis que l’agro-industrie en profite pour développer une filiale et réduire ses impôts.
Dans ce contexte d’urgence émerge l’idée de la sécurité sociale de l’alimentation8. Concrètement, chacun disposerait d’une carte créditée de 150 euros par mois pour l’achat de nourriture. Chacun cotiserait selon ses moyens, comme pour la sécurité sociale actuelle.
Le conventionnement des produits, décidé par des citoyens et citoyennes tirées au sort ou élues, à l’échelle locale ou nationale, déterminerait quels produits seraient remboursés en s’appuyant sur des critères écologiques, sociaux et sanitaires. Les expérimentations essaiment déjà, à Cadenet ou Montpellier par exemple. Même si ce n’est que le début, les retours sont positifs : les territoires reprennent vie en retrouvant le lien social entre producteurs et consommateurs.
La cuisine remise au goût du jour pour les cantines scolaires
Les cantines scolaires, c’est un marché colossal avec plus d’un million de repas par an en France. En 2018, la loi EGALIM imposait d’avoir 20% de bio en 2022. On atteint seulement les 13 % aujourd’hui et il s’agit parfois de produits industriels importés9.
Il faut donc renforcer la loi Egalim : d’abord assurer son application, en augmentant les contrôles, les sanctions, le financement mais aussi l’accompagnement des cuisiniers. Actuellement, leurs formations se focalisent sur la gestion et l’hygiène des cantines où l’agro-industrie y joue un rôle déterminant. Remettons la cuisine au cœur du métier. De même, facilitons, et organisons l’achat de produits locaux. Comme à Langres10, les collectivités pourraient mettre en lien producteurs et restaurations à l’aide d’une régie publique de livraison, voire de transformation. Ensuite, il faut fixer des objectifs plus ambitieux que ceux de la loi EGALIM.
Tout cela est possible sans exploser les coûts, en réduisant la viande et le gaspillage11. Des solutions de terrain existent (en adaptant les portions à l’appétit des enfants par exemple), il faut les généraliser.
Remplaçons les super-héros par des mesures simples !
D’autres mesures sont possibles. Pour l’heure, voici cinq leviers à soumettre au débat. Ces cinq solutions réalistes et complémentaires mises en place conjointement transformeraient l’agriculture à grande échelle et rapidement. Ce sont les règles de la société qu’il faut changer pour dépasser les injonctions moralisantes et imaginer un avenir qui ne dépende ni de la vertu ni du sacrifice des uns et des autres. L’agriculture et l’alimentation sont des questions politiques que nous devons mettre… sur la table !
- La France Agricole, Le pacte d’orientation et d’avenir agricoles se dévoile enfin, 15 décembre 2023 : https://www.lafranceagricole.fr/installation-transmission/article/859962/le-pacte-d-orientation-et-d-avenir-agricoles-se-devoile-enfin ↩︎
- En France, plus de la moitié des aides directes (qui représentent près de 80 % des aides) sont touchées par 20% des agriculteurs. Notons qu’à l’échelle de l’Union Européenne, c’est pire : 20 % des exploitations touchent 81% des aides. Plan Stratégique National de la PAC 2023-2027, page 10 : https://agriculture.gouv.fr/telecharger/131861 ↩︎
- Selon l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), en 2019, les aides directes représentaient 74 % du revenu des agriculteurs (RCAI). Ce chiffre masque néanmoins de grandes disparités entre les différents secteurs. Inrae, Comment la PAC soutient-elle le revenu des agriculteurs ?, 8 mai 2021 https://www.inrae.fr/actualites/comment-pac-soutient-elle-revenu-agriculteurs ↩︎
- Site officiel de l’association Terre de lien : https://terredeliens.org// ↩︎
- Présentation de la SCTL par les habitants du Larzac : https://larzac.org/accueil/un-territoire-organise/gestion-fonciere/sctl/ ↩︎
- Le film Tous au Larzac, documentaire français réalisé par Christian Rouaud, raconte formidablement bien cette lutte politique à travers des entretiens avec les protagonistes et des images d’archives. ↩︎
- Site officiel des SAFER : https://www.safer.fr/ ↩︎
- Pour en savoir plus sur la sécurité sociale de l’alimentation : vous pouvez consulter le site internet du Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation : https://securite-sociale-alimentation.org/ , lire la bande dessinée Encore des patates !? Pour une sécurité sociale de l’alimentation de Mathieu Dalmais et Louise Seconda ou encore voir la conférence gesticulée du même Mathieu Dalmais que nous avions proposée dans l’Aube en 2020 : De la fourche à la fourchette… Non ! L’inverse ! ↩︎
- D’après la dernière enquête menée par les services du ministère auprès des établissements inscrits sur la plateforme « ma cantine ». https://agriculture.gouv.fr/plus-de-bio-dans-les-menus-la-restauration-collective-invitee-redoubler-deffort-pour-tenir-ses ↩︎
- En savoir plus : La voix de la Haute-Marne, Pour une alimentation locale et de qualité en Pays de Langres, 24 janvier 2021, https://www.lavoixdelahautemarne.fr/actualite-8048-pour-une-alimentation-locale-et-de-qualite-en-pays-de-langres ↩︎
- Retrouvez des témoignages et des réflexions dans le livre Une autre cantine est possible, Marc Perrenoud et Pierre-Yves Rommelaere, Editions du Croquant, 2021 ↩︎
Les photos des différents agriculteurs ont été réalisé pour l’exposition photo du festival Ecol’Aube 2023. La plupart sont signés Joris Romero, avec l’aide de Laura et Valentin.